Tables gigognes
Un travail collaboratif avec Nadia Cabestan et Maryse Maillard-Félix, scénographie en cours de réalisation (2024)
"TABLE"
Texte d'Isabelle Fournier, 1er juillet 2022
TA - BLE 2 syllabes 1 mot
Combien de fois entendu ce mot ? ! A TABLE !
Entendu ce mot sur tous les tons ! A TABLE !
Tiens-toi bien à table !
Ne mets pas tes coudes sur la table !
Mets tes mains sur la table !
Ne t’affale pas sur la table !
TABLE : un mot dessin pour apprendre le b.a.-ba de toutes les langues étrangères : dessous dessus, devant derrière la table…
Plus qu’un objet , un meuble, c’est un incontournable dans tous nos lieux de vie. La table pour manger, pour écrire, pour dessiner, pour travailler, pour créer, à la maison, au bureau, au bistrot, la table pour langer, pour repasser, la table du kiné, la table de chevet et la grande table de ferme…
Partout, la table est partout, multifonctions pour certaines, très spécifiques pour d’autres, de toutes les tailles, de tous les styles, sur un pied, sur trois sur quatre ! les tables branlantes et les impossibles à soulever, celles où se jouent les destins des peuples, celles qui trônent dans les musées et celles qui sont toujours cachées sous les nappes, les toiles cirées… Toute une époque les toiles cirées… ces tables-là : jamais vraiment regardées… Que nous raconteraient les tables si elles pouvaient parler ?
Et si j’additionnais toutes ces heures passées à table ?!.. Autour de la table… Pour le meilleur ! Mais parfois pour le pire…
Taper, festoyer, danser sur les tables ! On peut même les faire tourner, les tables ! On peut tirer la nappe et tout envoyer valdinguer, on peut se dresser sur la table !
Mais surtout on peut TABLER sur la table. La table, c’est du solide, du garanti, du permanent ! Elle peut rester des siècles à la même place, immuable, la table !
NON. NON. La table de LAET, c’est tout le contraire.
La petite table de Laet, la tablilaet, c’est comme ça que je l’appelle, c’est une table qui bouge. Perchée sur ses gambettes d’échassier, elle volerait… presque… Elle bouge, elle ne supporte pas les gros livres, les piles de dossiers, les coudes qui réfléchissent, les poings qui frappent, les gros plats familiaux, les vaisselles d’or et d’argent, elle ne rassemble pas les familles éclatées, les grandes tablées… Non, cette table là, la tablilaet, c’est la table de l’intime, elle ne porte rien, elle accueille, juste… une main posée, une tasse de thé, un cendrier, un journal balancé, le livre de l’été, le livre préféré, une maxime à méditer… un verre pour s’enivrer ! Tu n’as besoin que d’une seule main pour l’attraper et hop, la voilà de l’autre côté du canapé ! Tu peux choisir de la regarder ou bien de la cacher, de l’oublier ou de la déplacer. Elle est pour toi, rien que pour toi. Et pour celui ou celle que tu as convié.e Elle est pour l’invité.e, rien que pour lui, rien que pour elle… Elle est comme un secret à partager. Elle est là sans être là, à ta portée et tu peux la prêter, la démonter et l’expédier ! Tu peux même… t’en débarrasser ! C’est une voyageuse…
Et chacune est un monde en lui-même, profondeurs marines, nébuleuses, un monde mental, sensuel et chatoyant. Lumière, couleurs, giclées d’or, fragments du magma et brisures de cosmos…
Ce soir, elle est à l’honneur, on lui fait la fête, elle est même bien entourée, là-bas dans la pièce d’à côté, papillon, chat, soucoupe fleur et feuille, petits contenants noir et blanc, soie very rare, robe galbée, paysages rêvés, paysages horizons camaïeu bleu et vert : bravo les artistes ! Mais la tablilaet, elle n’est pas là pour l’éternité, alors profitons-en , buvons dansons et festoyons et… roulons sous les tables ! LA CABANE, Vendredi 1er juillet 2022
ÉCRIT ET LU PAR ISABELLE FOURNIER